jeudi 31 janvier 2013

Un hôpital à Royaumont

Avec une classe de CM de l'école René Coty de Gonesse (Val d'Oise), nous sommes allés à la Fondation Royaumont en résidence d'écriture (avril 2010). Il s'agissait de s'intéresser à une époque particulière de l'histoire de l'ancienne abbaye : la guerre de 14-18, durant laquelle elle avait été transformée en hôpital militaire, où officiaient notamment des infirmières écossaises.
A la bibliothèque de la Fondation, chacun de nous a choisi une photo d'époque. Puis nous avons imaginé tous les mots de A à Z que l'on pouvait tirer de la photo...
Abbaye / Brique / Chapeau / Draps / Evénement / Fleur / Genoux / Herbe... (c'est plus dur avec les lettres du bout !)
Nous avons aussi dressé l'inventaire de ce qui était le plus clair et le plus foncé sur ces vieilles photos en noir et blanc. Et puis avec tout ça, nous avons écrit de petits textes en imaginant que c'étaient des lettres qu'envoyaient les blessés à leur famille, comme le verso de la carte postale.
On a retravaillé les textes avec Laurent Contamin pour qu'il y ait plus de présence dedans.
Nous avons ensuite donné une représentation, en ajoutant du bruitage avec Bertrand Amiel qui travaille à la radio. Et on est même passés à la télé !


Le 26 septembre 1914
Chère famille
Est-ce que le bébé va bien ?
Chère famille
A la guerre, je me suis fait amputer du bras.
Cette après-midi, je suis parti à la pêche
J’ai attrapé un poisson.
Chère famille
Cette nuit était très longue et il y avait des obus dans le champ de bataille.
Des obus dans ma nuit
C’est la fin de l’été mais pas la fin de la guerre
Guère la fin, chère famille
Guerre, obus, opération
Arbres, nuages, nourriture
L’infirmière à moustache est une forteresse que je n’oserais forcer.

Lundi 18 juillet 1918
Frérot cher grand frère
La famille va bien ?
Tu sais que j’ai perdu un pied, donc je suis à l’hôpital de Royaumont.
Le pied gauche
Je te dis le gauche mais ce serait le droit ce serait pareil.
Toi et tes deux pieds vous vous en foutez pas mal.
Samedi je vais rentrer : dis pas à nos parents que j’ai perdu le pied.
Cette après-midi, le soleil brille pour la première fois.
Ensommeillé, je suis.
Ensommeillé et plein de haine pour cette folie.
En janvier, il pleuvait, pendant la guerre – dans les tranchées ça faisait des égouts.
L’été sera beau et il y aura des morts.
Points de suspension.
L’odeur des tulipes, de la nature
Des oiseaux, des cris de soldats, des obus
La guerre tranquillement
Ensommeillés seraient les guerriers, oui
Ensommeillés sans cesse, de tranchée en tranchée, terrain gagné pied à pied dans le sommeil.
L’été prochain, j’espère aller à côté de vous, les parents et toi.
Mieux vaut avoir un pied en moins qu’en avoir un dans la tombe, c’est ce que m’a dit un amputé des jambes qui pensait me faire rire.
Pas de nom

3 août 1916
Chère Maman,
Cette nuit dans le dortoir j’ai rêvé de vous.
Deux ans que je n’avais pas rêvé et mon premier rêve est pour vous.
Comment vas-tu ? Y a-t-il des nouvelles de Papa ?
Comment vont les gosses ?
Aujourd’hui nous sommes en train de faire une course de sac et plein d’autres activités.
Je passe une très belle journée, les infirmières jouent avec nous. Il y a si longtemps que je n’avais pas vu de femmes.
Ici il y a des très jeunes, il y en a qui pleurent.
Il y en a qui veulent fuir.
Profiter d’être ici pour s’enfuir.
Ils n’en peuvent plus de cette boucherie.
Mais que feront-ils dans la nature ? Il paraît qu’on fusille les déserteurs.
J’ai vu le fils de ta sœur, j’étais vraiment heureux. Il a beaucoup changé mais je ne t’en dis pas plus.
Notre uniforme est blanc, de même que celui de l’infirmière, et l’uniforme de l’arbitre est noir.
Les infirmières préparent d’autres activités.
Jean-Pierre

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